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JOURNAL D'ARTISTE

FIND YOUR WILD *

  • Photo du rédacteur: Meiun Caroline MABY
    Meiun Caroline MABY
  • 26 août
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 nov.

*"TROUVE TA NATURE SAUVAGE".




« Dans la nature sauvage réside la préservation du monde. »

— Henry David Thoreau



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Qu'est-ce à dire?

Avons-nous en nous une "Nature sauvage"? Quelle est-t-elle?


Par notre "Nature sauvage", faut-il entendre instinct brut ou élan originel départi de conditionnements sociaux et culturels? Ou s'agirait-il, dans une dimension plus spirituelle, de revenir à une authenticité profonde?

Je voudrais surtout pointer ici notre lien au vivant: comment renouer avec la Nature non domestiquée, avec l’animalité en soi, avec ce qui est organique, instinctif, parfois imprévisible ?

Comment recontacter cette force de vie nous reliant à la terre, cette source de vérité par laquelle l'homme retrouve grandeur, liberté et équilibre?


Cela commence par la capacité de réinscrire notre existence dans un continuum de relations avec le reste du vivant et du non-vivant: habiter le monde non pas comme gérante ou dominante, mais comme parente, compagne, partie prenante — dans un geste à la fois individuel et existentiel comme y invite Thoreau, aussi collectif et ontologique comme le suggère Descola.


J'ai revisité mes premières sensations de Nature pour regarder l'évolution de mes plongées, de mon rapport à elle, presque de façon phénoménologique. Ai-je toujours été séparée d'elle? Je ne le crois pas.


ÊTRE NATURE


D'abord il y a eu la présence nue de la Nature,

Nombreuses sont les images, des vibrations d'étés surtout, où je ne peux ajouter de filtre personnel (émotion, pensée) à une impression d'être "pure Nature". Elles datent de ma petite enfance, contemplative, et pourraient appartenir à quelqu'un d'autre.



© Caroline Maby
" Te rappelles-tu qui tu étais avant que le monde ne te dise qui tu dois être? " | © Maby

Rūpa et vedanā*

— Les Alpilles, France, été 1977 | Soleil de plomb


J'ai trois ou quatre ans, la tête renversée, le ciel est fait des feuilles des platanes qui couvrent en tunnel la route nous menant aux Baux de Provence. Les rais du soleil blanc sont comme les tuyaux d'un grand orgue. Chaque fois qu'ils touchent ma peau au passage lent de la décapotable, un son, une joie pure extérieure, une couleur jaillissent, sitôt balancés par l'ombre bienveillante de la canopée. Celle-ci fait silence, fraîcheur et caresse.


Obscurs et éclats interatifs chantent et dansent en un tableau vivant. Les sens ne paraissent pas individués. Rien n'est nommé, ni agripé. Caroline n'est pas, juste... d'une rencontre entre un petit corps et le monde, naissent des sensations stimulées par des formes-feuilles et le feu du soleil.


Ces dilutions s'espacent en grandissant car les champs de conscience où elles peuvent s'expandre se resserrent, laissant à la pleine présence des interstices de plus en plus étroits, scellés par l'égo en pleine solidification.

Seuls les aubes lentes sur l'océan, la rencontre d'une baleine, le soleil de minuit au Lofoten, les baignades au large en Méditerranée... ont pû (re)dissoudre les limites entre espace intérieur et extérieur. Ces instants de Nature ne se sont jamais laissés commenter, ni être appropriés par une "pensée calculante".** Le corps lui s'est laissé traverser, dissoudre spontanément sans devoir faire effort de renoncement et de fusion.


Est-ce là prendre contact avec notre Nature sauvage? Pas encore...


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* Rūpa et vedanā: forme et sensation en sanskrit, sont les deux premiers des cinq skandhas.

** Par contraste avec la pensée méditante. Référence à Martin Heidegger, [ Sérénité, in Questions III ].




ÊTRE ÉMUE


Les perceptions et projections viennent alors teinter la sensation.


saṃjñā et saṃskāra*

— Talloires, France, été 1983 | Montée d'orage, une barque au milieu du lac


Lac d'Annecy | © Caroline Maby
Vue en direction du "Petit lac" et Doussard un soir d'orage, Lac d'Annecy | © 2022 Maby

Une enclume psychopompe couleur charbon grainé adombre le ciel. Des gouttes — au goût lénifiant et qui pourtant piquent le front, les bras, comme si elles tombaient très vite, de très haut — rebondissent sur le lac noir outragé en le scarifiant de mille cercles.


Je ne connais pas encore Arvo Pârt mais j'entends un tintinabulli derrière le sombre grondement de ce toit de menace.

Nous ramons fort pour rejoindre la rive avant que les tourbillons ne nous rattrapent.


J'ai 10 ans. Mon père et moi nous sommes faits surprendre par l'orage. Au coeur de la manifestation de Nature faite d'eau, les émotions s'ajoutent aux empreintes d'absolu: une peur sourde se fond à l'excitation d'être surprise et à l'émerveillement du ciel qui précipite le crépuscule.

Pourtant je ne pense à rien — du moins je ne m'en souviens pas. Je me laisse dépasser par les éléments.



En préemptant la sensation pure et le rapport direct au lac et au ciel, les états d'âmes cristallisent un souvenir. Ils accrochent aussi l'indomptable — et par résonance, égratignent le vernis qui cache le sauvage en moi. Contact.


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* saṃjñā et saṃskāra*: perception et formations mentales en sanskrit: troisième et quatrième des cinq skandhas




ÊTRE EMBRASSÉE


Dans le palimpseste mémoriel de mes rapports aux éléments et au vivant, s'inscrivent ensuite les labels: bonheur, errance, sentiment amoureux, perte... pire encore: des réflexions, des notes et des sous-titres... un carousel de petites diapos légendées.


Pour toucher, contacter vraiment le cœur palpitant de l'"essence sauvage", il m'a fallu éprouver un dépassement: un abandonnement confiant à une nécessité d'être consumée / consommée par la Nature.

Il m'est arrivé plusieurs fois de me croire engloutie jusqu'au basculement, par une mer déchaînée ou la montagne qui avait eu raison de mon épuisement. Ce sentiment d'impuissance totale face aux éléments plus grands que moi a pu aller jusqu'à convoquer l'idée extrême de disparition, pour redevenir humus ou sable.


J'ai choisi l'expéricence d'Itsukushima pour l'illustrer.

Surnommée Miyajima, l'île sacrée est célèbre pour son grand torii* posé dans l'eau. De cela je n'ai pas de trace, il était entièrement emballé façon Christo pour sa rénovation. J'ai visé le Mont Misen (535 mètres) qui domine l'île de son aura mystique. Il est honoré par les bouddhistes; la "flamme éternelle" allumée par Kobo Daishi, fondateur de la lignée Shingon, y brûlerait intacte depuis le IXème.


Vue panoramique en haut du Mont Misen sur la baie d'Hiroshima. Momijimanju, le petit gateau en feuille d'érable est une spécialité de l'île (et matcha!). Parc Momijidani, célèbre pour ses érables. Le sanctuaire Shinto Itsukushima construit vers 1168. Les adorables Jizo de Miyajima. | Photos © 2019 Maby


Foret primaire Miyajima  | © Caroline Maby
Vue de la forêt primaire vue du téléphérique | © 2019 Maby

vijñāna**

— Île d’Itsukushima, Japon, décembre 2019


Je monte au Mont Misen avec le dernier téléphérique. Les vingt minutes d'ascension se font au dessus d'une exceptionnelle forêt primaire classée au patrimoine mondial de l'UNESCO. Elle est si dense, authentique et vibrante de sagesse... qu'elle devrait apparaitre comme un tapis rassurant.


Or elle ajoute au vertige.


Il y a dans la pérennité de cette forêt (comme dans la flamme de Kobo Daishi) une qualité étourdissante, un parfum d'éternité dévorant.

Elle m'apparait ogresse et renforce la profondeur donnée à la baie d'Hiroshima par le ciel porteur de pluie. Dessous, partout autour, c'est le gouffre.



Au sommet, je reprends pied, flâne et me perds un peu dans les perspectives bleues, l'histoire et le dédale de temples. Je parle aux Jizo et aux nuages, médite, écris mon vœu sur un daruma, caresse les pierres sacrées...

Le soleil décline. Il est bien temps de redescendre.


Miyajima  | © Caroline Maby
Bout de chemin dans la forêt | © 2019 Maby

Le chemin à travers la forêt n'est fait que de marches en pierre. De hauteurs inégales, la pluie les rend glissantes: il est impossible d'y trouver un rythme de marche, et mes converses usées prédisent l'entorse.


Et puis je ne croise pas une âme. Redescendent-ils tous par les cabines? Des petits cris... des singes? Je sens la nuit approcher au dessus des cimes, dessous il fait déjà sombre.

Seule sur ce chemin qui n'en finit pas, je m'imagine perdue, des scénarios de faits divers sordides s'empilent, je commence à anticiper la nuit passée sous une couette de feuilles d'érables avec une fracture.

"Elle est partie au Japon". En fait, personne où je suis en ce moment.

J'ai 46 ans, et j'ai un peu, assez, très peur.



Je me concentre sur mes pas, dans l'obscur qui s'invite... et au coeur du végétal, je signe spontanément l'accord de me laisser disparaitre, avalée par la forêt si jamais elle le décide.

Et c'est là je crois qu'apparait là une vraie reconnaissance de cet "état sauvage" immanent. Un pacte intime fait de la conscience notre pleine appartenance à la Nature ET du feu intérieur qui nous lie à elle. Cette interconnexion palpitante et immuable nous meut, au plus juste.


Et c'est peut-être là que j'ai le plus perçu la pulsation sauvage et non-séparée de mes cellules avec le vivant . Que celles-ci deviennent mousse, gouttes d'océan ou bien plancton! C'est parfait, si tant est que l'on accepte de se donner. Je sais aussi que ce mouvement de renoncement est un artifice, le pas de recul nécessaire que j'ai dû danser pour retrouver le sauvage en moi.



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* torii 鳥居: portail traditionnel japonais, communément érigé à l’entrée d’un sanctuaire shintoïste, afin de séparer l’enceinte sacrée de l’environnement profane.
** vijñāna: conscience, cinquième skandha




EMBRASSER

Où m'emmène ce cheminement vers le sauvage: d'abord reconnaitre l'état "d'être Nature", puis se laisser mouvoir par son ardeur jusqu'à recontacter notre animalité.


Associé de façon ancestrale à un Dieu ou un démon, le serpent est un animal par lequel l'Homme a souvent exprimé ses peurs les plus profondes. En Birmanie (Myanmar) pour sauver leur village de malédictions, certaines prêtresse embrassaient trois fois le Cobra considéré comme un dieu.

Mais aussi... embrasser le Cobra, c'est être Cobra. Et c'est savoir embrasser la mort. Et par ce dépassement, être pleinement vivant.




Si la peur ne l'a révélé qu'à coup d'expériences fugaces, j'ai reconnu, intégré cette idée de pleine connexion au sauvage au moment du passage de ma petite déesse chat Smoky vers l'autre-monde. La grâce qui a orchestré son départ a aussi pris ma terreur sous son aile pour me délivrer cet enseignement sublime, avec tendresse.

Les animaux, même domestiques, sont des maîtres: ils nous révèlent la valeur de l'instant, de la qualité de présence et d'interdépendance. L'odeur délicieuse d'une petite fourrure tiède, un regard transperçant, une réaction de sagesse... Plus vastes que nous, ils nous montrent comment retrouver confiance en notre instinct, et c'est beaucoup plus simple, lumineux et immédiat que nous ne le pensons.


Être pleinement inter-relié à la Nature ET se laisser animer par son feu ardent — le sien, le leur, les mêmes — c'est cela pour moi retrouver sa nature sauvage.


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FIND YOUR WILD

Cette toile m'est apparue dans une pratique de rêve lucide.


J'explorais la qualité de cette sève sauvage. Dans ce voyage hypnagogique m'a été montré un court-circuit à la peur et l'abandon de soi: véhicules de reconnexion que j'avais jusque là empruntés.


Dans cette visualisation, il était possible de palpiter d'un feu sauvage... sous l'inspiration des grands félins. Ni menaces, ni chats domestiques, de vrais tigres.

En est née une toile:


Find your Wild  | © Caroline Maby
FIND YOUR WILD | Création originale signée sur toile de coton, réalisée en technique mixte : peintures vinyliques, collages, feuilles d'or, encres, crayons. Format 80 Figure : 146 x 116 cm | La toile est marouflée sur bois (contreplaqué marine). | © 2025 Maby

FIND YOUR WILD, Détails. Cliquez pour agrandir. | © 2025 Maby



" Je suis l'esprit de la forêt.

Je suis l'esprit de la Nature.

Chaque particule d'air que tu inspires est infusée de moi, verte comme la mousse, feu comme le poil du tigre, adamantine comme l'eau de source.

Tu inspires, tu l'inspires, elle t'inspire et te connecte à plus grand que toi, sentience dominant la biosphère.

C'est juste une re-synchronisation.


Respire.

L’âme du tigre est en toi, forte, ancrée, consciente, à la vision panoramique et pointue.

Elle t'aime la Nature et t'embrasse avant même que tu n’aies tendu le doigt vers elle.

Sais-tu pourquoi? Car désormais, tu n’as plus rien à conquérir. Tu es, ainsi, réalisé, absolu, et cet Amour que tu portes aux nuages comme aux coléoptères… il t’inclut tout entier. 

Tel quel.


Retrouver ton âme sauvage, c'est entendre ton rire d'enfant, redécouvrir le jeu des masques d’argile fragiles et des cachettes derrière les tronc qui parlent, c’est chuchoter ton secrets aux fourmis et faire une course folle dans les herbes qui piquent. 


Je suis l'esprit de la nature.

Enfant roi assieds-toi et contemple les yeux fermés.

Écoute le contrepoint de ces petits oiseaux merveilleux, entend le bruissement des branches au passage de l’hermine légère, sens le souffle du félin sur ta nuque.  


Tout veille sur toi; tu n'as jamais été aussi protégé." 



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Note: FIND YOUR WILD est maintenant encadré avec une caisse américaine noire, supendue, et qui laisse passer un léger éclairage led chaud. Les photos seront mises à jour bientôt. : )




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