5 déc. 20243 min de lecture

SAKURA ET VAJRA*

Il y a quelques années, j'ai été très honorée de recevoir la commande d'une dizaine de panneaux décoratifs destinés à parer l'autel principal du monastère Zen SokukoJi dans le Michigan, USA. Je n'en avais pas beaucoup parlé car il m'est souvent délicat de présenter ouvertement les créations répondant à des demandes privées.

BEING WITH ALL THINGS est le panneau central bas de l'autel, réalisé en techniques mixtes sur papier. Il est ici présenté dans un lieu privé avant sa mise en place à SokukoJi. | © Caroline Maby

Je reviens sur ce travail aujourd'hui car les panneaux ont pris leur place depuis un moment. Ils résonnent désormais harmonieusement avec l'espace où ils sont exposés, avec les rituels et la Sangha, et ils ont été visibles à de nombreuses reprises sur Youtube et ailleurs sur la toile.

* " Sakura et Vajra " évoque la rencontre de deux traditions: Japonaise et Tibétaine.

SOKUKOJI, MONASTÈRE BOUDDHISTE

L'autel principal du Zendo de SokukoJi Buddhist Monastery - Battle Creek, Michigan, USA | © Sokuzan

SokukoJi a été fondé par Kyoun Sokuzan Brown, élève direct de Chogyam Trungpa Rinpoche puis de Kobun

Chino Roshi.

J'ai rencontré Sokuzan à Shambhala New York tandis que j'y passais les trois mois de l'hiver polaire 2015. Sokuzan y donnait un séminaire "Art et Méditation" qui, en dehors de Shambhala, se déroulait au Metropolitan Museum et au MoMA.

Cet enseignement a totalement et pour toujours bouleversé mon rapport à l'oeuvre — comme artiste, créatrice ou regardeur. C'est ainsi que je suis devenue l'élève de Sokuzan; j'ai ensuite eu la chance de faire plusieurs retraites à SokukoJi et plus tard encore avec lui à Manhattan et Brooklyn, toujours entre zafu et musées d'art contemporain.

Je connaissais bien le zendo** du monastère, l'espace et sa lumière, l'orientation de la pièce, le meuble d'autel, les mouvements des méditants et des officiants... et cela a facilité une vision d'ensemble et de détail.

L'influence du Vidyadhara*** sur l'enseignement de Sokuzan est très prégnante et la voie Tibétaine s'interpénètre brillamment avec la forme Zen de la lignée du Monastère.

J'ai contemplé cela, et ouvert aussi grand l'atelier aux muses des cimes de l'Himalaya qu'à celles venues du Japon.

Plonger dans ce projet global m'a immédiatement enthousiasmée.

** Zendo: lieu où l'on pratique shikantaza, méditation zen.

*** *Vidyadhara: une des appellations honorifiques de Chogyam Trunpga Rinpoche.

RENCONTRE IMAGINAIRE

Un des panneaux montre Karma Pakshi, second Karmapa (premier représentant de la lignée Kaguypa), et premier Tulkou reconnu au Tibet (1208 - 1283) échangeant avec son contemporain, Dōgen Zenji, maître zen, philosophe et poète japonais, fondateur de l'École Zen Sōtō (1200 — 1253).

Cette rencontre n'est aucunement un fait historique mais elle évoque un dialogue imaginaire entre deux figures majeures du Dharma. Sokuzan se fait aujourd'hui le passeur de cette interconnexion, d'ailleurs évoquée par Chogyam Trungpa Rinpoche dans son livre " Zen et Tantra ".

ET SI DOGEN AVAIT RENCONTRÉ KARMA PAKSHI ? — techniques mixtes (encres, crayons, acryliques, collage, fleurs sêchées...) sur papier. | © Caroline Maby

QUEEN SRIMALA

La place des femmes dans le bouddhisme est un sujet qui m'est cher. "The Mother Lineage" (La lignée de la Mère) est un chant récité quotidiennement à SokukoJi pour témoigner de gratitude et rendre hommages aux grandes matriarches et femmes ayant réalisé la voie du Bouddha. La Reine Srimala — ou Śrīmālādevī — en fait partie.

J'ai travaillé à l'ensemble des panneaux pendant plusieurs mois depuis mon atelier de Saint-Malo. Achevés au moment de la crise covid, il ne m'a pas été impossible de les livrer personnellement. Acheminés par transporteur, ils ont été diligemment montés par des moines résidents (merci Shodō).

J'espère pouvoir voler l'année prochaine vers Chicago et poursuivre mon travail au monastère.